D’aussi loin que je me souvienne, j’écris. Les cartons du grenier de ma grand-mère regorgent d’histoires, de poèmes et de mini-pièces de théâtre souvent inachevées. Les marges de mes cahiers d’écolière, puis de lycéenne et d’étudiante étaient, elles aussi, truffées d’idées pour de futurs romans, d’histoires courtes, de vers. Je ne parle pas des classeurs entiers débordant de nouvelles, de bouts de romans quelque fois presque terminés (mais tous ratés), de synopsis. Aujourd’hui, la plupart d’entre eux me font rougir, mais ils me rappellent à quel point écrire fait partie de moi.
Lorsque j’ai publié La double vie de Pénélope B., évidemment, c’était la concrétisation d’un rêve. Peut-être du plus cher d’entre eux. Depuis ce temps, presque à chaque fois que je mentionne la publication de mes livres, on me répond en soupirant : « Ahhhhh comme tu as de la chance, comme j’aimerais écrire des livres, moi aussi ».
Au début, mon regard s’allumait : « Tu écris, toi aussi? Qu’est-ce que tu écris? Sur quels thèmes? » et je me voyais déjà entamer une passionnante conversation. Mais à une ou deux exceptions près (une seule, en fait) j’ai toujours obtenu la même réponse de mon interlocuteur : « Non, rien encore », avec des variantes telles que « je réfléchis à quelque chose » ou encore « je n’ose pas » qui ne nous menaient pas vraiment plus loin.
En général, ça m’agace et je me retiens toujours de dire à ces rêveurs que ce qui compte à mon avis ce n’est pas le désir de produire quelque chose, ni le succès qui pourrait en découler, que ce qui compte, c’est tout ce qui se passe entre les deux. C’est l’acte d’écrire, le moment où une histoire naît, les relectures, le doute et quelque fois un peu de satisfaction.
Lorsqu’on rêve d’écrire des livres et qu’on n’a jamais seulement griffonné trois lignes sur un cahier, de quoi rêve-t-on, au juste?
J’ai l’air de savoir de quoi je parle, là, pourtant il m’arrive souvent d’oublier tous mes grands principes. On a tous envie de briller quelque fois. C’est vrai aussi que je me laisse facilement contaminer par la peur de ne pas y arriver, et mille autre de ces tourments idiots qui empêchent d’avancer.
Ainsi, lorsqu’on m’a proposé de faire cette série de photo pour Modepass, j’ai accepté sans réfléchir. Mais au moment de passer la porte du lieu où devait se dérouler le shooting, toutes ces excuses paralysantes sont revenues à la surface et je me suis présentée à l’équipe avec l’envie de prendre mes jambes à mon cou. Annoncer, je ne sais pas… que j’étais soudain prise de paralysie oculaire. N’importe quoi pourvu que j’échappe à ce cauchemar. Comment avais-je pu en douter un instant : les photos, évidemment, allaient être horribles.
Mais petit à petit, chacun a trouvé sa place. Tout le monde, contrairement à moi, semblait détendu. En faisant les premiers réglages, j’ai senti la concentration venir, puis progressivement, au milieu de l’enthousiasme des autres et probablement portée par lui, le plaisir d’être là. Chercher dans quelles attitudes se cachait la douceur que je voulais faire ressortir et l’envie de trouver ce qui mettrait nos modèles en valeur ont progressivement effacé toute l’angoisse.
Pourtant, en faisant une petite revue des photos que j’allais mettre sur ce blog, hier soir, j’ai eu du mal à choisir. Je suis satisfaite de deux d’entre elles (ci-dessous). Les autres me laissent une impression mitigée et pendant un moment, hier soir, elles m’ont semblé n’exprimer que ce que je ne sais pas faire, mes limites, mon inexpérience, tout ce qui cloche et que je voudrais cacher… Un instant, j’ai eu envie de ne pas les mettre ici.
Mais en y repensant ce matin, elles sont aussi le témoin d’un jour où je suis allée un peu plus loin, où j’ai avancé. D’un jour où j’ai un tout petit peu dépassé la limite de ce que je savais faire.
Une fois encore, je m’aperçois que j’ai oublié que ce n’est pas l’intention de faire les choses, ni ce qui en résulte qui nous fait avancer. La seule chose de vraiment importante, c’est tout ce qu’il y a entre les deux.
26 réflexions sur “Tout ce qu’il y a entre les deux”
C’est pour ça que quand j’écrivais le mien-que-personne-ne-lira-jamais, je n’arrêtais pas de dire « alors moi, j’ai jamais rêvé de ça! Même si j’ai aussi quelque part 2-3 cahiers remplis de nouvelles à la con, je n’ai jamais prétendu rêver d’écrire un livre et je voulais que ce soit clair pour tout le monde. Et puis, je suis d’accord avec toi, quand on a toujours rêvé de faire un truc, on a essayé, c’est obligé! Même avec 3 bouts de ficelles, même si on a pas le temps. Un rêve, c’est un truc hors de temps et de toute contrainte matérielle. C’est comme si quelqu’un te disait qu’il a toujours rêvé de faire des photos mais que faite d’appareil, il n’en a jamais fait : même avec un jetable on peut s’autoriser à rêver.
J’aime ta façon de présenter les défauts et les manquements de toutes femmes (en réalité). C’est vrai qui n’a jamais hésité, douté à l’idée d’expérimenter de nouveaux horizons… mais comme tu le dis il faut faire le pas, s’imprégner de l’atmosphère et y aller à fond ! Pas si facile que ça… mais une très bonne ligne de conduite.
Accessoirement, j’adooooore la photo prise en plongée avec ta tasse de café, ton sourire est vraiment communicatif donc sincère à mon avis.
Bye,
Vicky
Quel joli texte (et cela vaut aussi pour le commentaire de Nadia)!
C’est tellement vrai! Pour réaliser un rêve il faut un peu arrêtêr de rêver, et commencer à réaliser. C’est comme ça qu’on avance et qu’on se rapproche du rêve. Et tant pis si on ne l’atteint pas, le fait d’essayer et d’avancer est une vraie satisfaction en soi.
Tes photos sont très belles Anne-So, et si on prend le temps de se promener sur ton blog on se rend compte de leur évolution, elles murissent. Surtout continue, la prochaine c’est 4 ou 5 que tu aimeras!
Et bien je ne sais pas si c’est ta blessure qui t’inspire, mais je trouve que tes billets sont magnifiques en ce moment !
Très joli texte. J’avoue que je n’ai pas été convaincue par les livres « Pénélope B », je pense sincèrement que tu es capable de cent fois mieux que ça… ce billet le prouve. Mais, comme tu le rappelles ici aussi, ces livres sont une étape nécessaire et valable. Bravo pour cette audace qui, j’en suis sûre, en inspire plus d’une et t’emmènera loin !
Merci beaucoup pour ce billet, c’est une vrai source d’inspiration. Ca m’a beaucoup touché, je me suis bien reconnu dans ce portrait que tu dresses de tes doutes et de tes envies.
En tout cas tu n’as pas à rougir de tes photos, elles sont vraiment d’une grande sensibilité. Bien sûr tu leurs trouves des défauts, des améliorations, mais ça fait aussi partie d’un processus créatif, savoir critique derrière son travail. Ce pas que tu as franchi en faisant cette séance doit te faire ressentir un grande satisfaction, un certain accomplissement non? Je l’espère.
J’aime beaucoup le ton que tu as su mettre dans tes clichés.
Les couleurs sont douces, les expressions très naturelles, on a l’impression d’entrer dans l’intimité de cette jeune fille.
C’est beau sourit
Il n’y a que moi que ça frappe ? Anne-So, ça n’est pas toi sur les photos ? (ou alors je ne te reconnais pas, mais pas du tout !!?)
Joli texte comme d’habitude…
Les photos sont à la hauteur du texte, douces et authentiques.
Bonne journée.
elles sont magnifiques tes photos, Anne-So. Et celles que j’ai chez moi de mon crampon sont les plus belles qui aient été faites d’elles. Ne doute pas, tu as un regard si doux sur les gens et les choses qu’il en résulte forcément quelque chose de magnifique…
Le plus dur, c’est de se lancer, c’est vrai. Et c’est sans trop réfléchir, peser le pour, le contre, que ça marche le mieux. Mais c’est dur !
La photo du passage des pieds est magnifique… on a envie de la suivre -ou de s’étaler sur le parquet comme un chat :-)
J’espère que tu n’as plus peur des shootings(moi j’ai un peu la trouille);-)
Comme je reconnais dans ce portrait… c’en est troublant! tu as su exprimer les choses que je n’arrivais pas à dire moi aussi j’écris depuis que je sais le faire, mon imagination fourmille sans cesse. bizarrement je n’ai jamais achevé un seul de mes écrits (même mes poèmes et mes chansons ont un goût d’inachevé), ça m’arrive de revenir dessus, juste pour le plaisir de relire un fragment de souvenir, d’y rajouter un mot ou une phrase… bref il n’a jamais été question pour moi non plus de publier, et étrangement, depuis que j’ai commencé mes études supérieures, je n’ai pas eu vraiment le temps de me remettre à mes passions multiples (l’écriture, la musique, le théâtre, les arts plastiques, la photo…) et j’en suis quelque peu frustrée, mais je me dis que c’est un mal pour un bien car mes études je les fais pour travailler dans l’édition, et les livres qui sont aussi une passion vont devenir mon gagne-pain quand même, mais d’une autre manière ! Anne-So je te souhaite de perdurer dans ce que tu fais, je trouve tes textes et tes photos très touchantes… merci ;)
oser se lancer. C’est bien ça le plus dur et c’est bien ça le plus satisfaisant. Parce que sin on n’écrit pas d’abord pour soi, à quoi ça sert finalement…
Waou, toujours aussi inspirant par ici… Bravo anneso pour cette nouvelle limite que tu as franchie :clin Et je suis tout-à-fait d’accord avec toi, l’essentiel est d’agir et de se faire plaisir. Je partage ta philosophie et ne suis pas de celles qui rêvent leur vie au lieu de la vivre!
Je viens souvent voir ton blog discrètement… aujourd’hui j’ai envie de te laisser un commentaire car ton texte m’a vraiment interpellée. Je n’ai jamais eu l’occasion de concrétiser mon rêve comme toi, mais je me reconnais dans tes premières lignes. Les vers, les histoires, les synopsis, les pièces de théâtre inachevées… les histoires qui te font rougir aujourd’hui. Tout ça fait partie de moi aussi. J’ai écrit ma première petite histoire quand j’ai appris à écrire, à vrai dire… pour ma maitresse du CP. Tu m’as reboostée, et je me dis que ce serait bête de baisser les bras. Mon rêve n’est pas forcément de concrétiser en publiant un livre car j’imagine combien c’est difficile d’y accéder, mais au moins de finir toutes les histoires que j’ai commencé pour moi.
By the way, les photos sont superbes…
Tu connais cette phrase de Luis Sepulveda:
« Seul vole celui qui ose le faire ». Elle est issue de son roman L’histoire de la mouette et du chat qui lui appris à voler. Je crois qu’il te plairait beaucoup;)
Très joli texte ! Et en arrivant sur le blog, je me suis dit « tiens, des photos pro, travaillées »… amusant de lire quelques mots sur cette séance !
Il m’a toujours semblé difficile de mener un livre à son terme. J’écris plutôt des poèmes ;) Sur des ressentis, des impressions pour beaucoup. Je n’avais commencé un roman qu’à 15 ans. Quelques copines ont eu envie de connaître la suite mais j’étais tellement imprégnée des auteurs du moment que j’en perdais mon style et la maîtrise de l’histoire !
L’écriture a un côté fascinant pour tous…
C’est un peu comme en photo quand quelqu’un dit qu’il est passionné alors qu’il fait 3 photos avec son jetable par an !
Jolie leçon de vie ! Sois tranquille, tes photos sont réussies. Bien sûr tu progresseras, mais seule l’expérience permet l’aller de l’avant. Bravo ;o)
Cette peur de ne pas y arriver et finalement parvenir à la dépasser est à mon avis l’un des plus grands challenges à relever dans la vie. Il est si facile de se laisser paralyser, pétrifier par tout ce qu’on n’a pas encore fait mais que l’on rêve tout bas de réaliser… En tout cas, ton texte m’a beaucoup touché. Par ailleurs, la peur que tu as ressentie à l’entrée du shooting était infondée, la preuve : tes photos (et notamment celle où la jeune fille éclate de rire en regardant vers le haut) sont remplies d’émotions…
Je suis de celles qui sont « entre les deux », j’ai des pages et des pages cachées sur ma clé USB. Quand ça me prend, j’écris et puis…j’oublie. C’est un peu brouillon.
Tu as bien fait d’outre-passer ta peur car tes photos sont très jolies, porteuses d’un charme très désuet et le sourire de cette jeune fille est magnifique.
Oui, c’est une véritable leçon de vie : « Tout ce qui se passe entre les deux » est aussi à prendre en compte pour vivre pleinement le moment qui s’offre à nous et être heureux tout simplement.
Après vient la satisfaction de l’objectif atteint. Pour moi, partir en voyage, c’est déjà s’évader en préparant la valise, Recevoir ses amis, c’est déjà un bonheur que d’aller au marché choisir les meilleurs produits ….
Merci pour cette leçon de sagesse.
Très jolies photos et ton texte exprime bien la beauté du voyage, qui est tellement plus important que la destination.
Rêver c’est bien, essayer c’est sans doute plus gratifiant et plus constructif.
Tenter des choses, explorer des pistes, se mettre en danger, tout cela fait qu’on se sent vivant et que notre vie prend tout son sens.
Je viens souvent sur ton blog pour cela. Parce que tu t’es donné les moyens de réussir tes rêves, que tu te bats chaque jour par qu’ils deviennent de plus en plus beau.
C’est bête, hein. Mais peu arrive à le faire. : )
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