J’avais quinze ou seize ans lorsque ma grand tante m’a offert ce poudrier. Elle était la seule femme de la famille à avoir eu une vie de citadine : ses récits étaient peuplés de farniente sur les bords du lac Léman, de virées shopping chez Harrod’s, de dîners très élégants dans les restaurants les plus chics et de mille autres choses qui faisaient briller mes yeux d’adolescente.
Indifférente, pour ainsi dire, à la beauté de l’objet que je n’étais de toute façon pas en mesure d’apprécier à sa juste valeur, il incarnait pour moi la palpitation de cette vie qui m’apparaissait alors tellement inaccessible. Je me suis souvent demandée, par la suite, ce qui avait poussé ma tante à m’en faire don et je me plait à croire qu’elle avait pressenti bien avant moi qu’un jour, je serais en effet sensible à la délicatesse d’un poudrier ancien.
À l’époque où elle me l’a offert, j’étais trop intimidée par sa fragilité pour oser réellement utiliser ce bel objet qui aujourd’hui encore porte le parfum douceâtre et tendre de la poudre qu’elle utilisait. Avec le temps, même si pour rien au monde je ne m’en serais séparée, le poudrier d’argent a fini par prendre ses quartiers au fond de ma boîte à bijoux, à noircir et se faire oublier. C’est le talc parfumé au gardénia, acheté ce week-end à Florence, qui m’a rappelé à son souvenir.
Je l’ai retrouvé si noir que j’ai crains un moment de ne pas parvenir à lui rendre son éclat d’antan. Ma tante prenait un tel soin de ses affaires que j’ai eu honte, soudain, de l’avoir négligé. C’est en frottant doucement du bicarbonate de soude avec la pulpe du pouce que je l’ai vu renaître.
Puis comme si cette caresse me mettait en contact avec sa vie d’avant, j’ai vu ma tante le glisser dans son sac, j’ai vu son reflet dans le miroir au moment où elle poudrait un visage bien plus jeune celui que je lui ai toujours connu, installée confortablement au fond d’un taxi londonien. J’ai vu ses doigts menus se saisir de la houppette en duvet de canard, la poudre voleter dans un rayon de soleil. Puis, sautant de mon imagination à mes souvenirs, je l’ai vu sagement rangé, dans la commode de cette aïeule revenue vivre à la campagne pour y finir ses jours, comme on garde un souvenir nostalgique de sa vie passée. Je l’ai vu, enfin, passer de ses mains à mes mains.
Ce poudrier, j’aimerais tellement être capable de le faire parler. Ma grand tante est morte il y a une douzaine d’années, à une époque où nous ne partagions plus grand chose. Et je songe souvent que nos vies ne se sont pas croisées au bon moment, j’aurais tant aimé la connaître aujourd’hui. Nous aurions, j’en suis sûre, tellement de choses à nous dire…
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J’ai été bluffée par l’efficacité du bicarbonate de soude sur l’argent. L’oxydation a disparu presque instantanément, sans que j’aie besoin de frotter. C’est bien plus efficace que n’importe quel produit chimique, dangereux et acheté au prix de l’or. Comme quoi les remèdes de grand-mère…
28 réflexions sur “Le poudrier d’argent”
Il est magnifique…
J’ai eu la même expérience, avait le poudrier de ma grand mère qui malgré les années garde toujours cette odeur de poudre aux allusion très féminine et coquette.
il est magnifique ce pourdier! et très beau texte!
Quel magnifique objet et quelle valeur il a quand il t’inspire ces mots…
L' »odeur de la poudre » n’est pas celle qu’on croit… c’est une goutte de l’Heure Bleue, un nuage à la violette, une houppette qui chatouille le nez.
Je suis bien contente Que tu aies retrouvé ce poudrier et avec lui une partie de ta grand-tante.
Les choses peuvent être partagées aussi plus tard et cette femme fantasmée revit aujourd’hui.
Merci !
Anne
La magie des mots nous fait rêver de cette époque lointaine où cette belle dame parcourait des rues citadines (^_^)
Bravo. C’est superbe.
Il est sublime
No comment, limite la larme a l’oeil :)
Merci pour le tuyau, j’ai pas mal de bijoux en argent un peu noircis. Pour nettoyer les pierres j’utilisais le bon vieux truc du dentifrice et de la brosse à dent… Sinon, c’est toujours très agréable de te lire, finalement tu m’a donné envie de « bloguer » à mon tour… Je t’en remercie.
Ce poudrier est magnifique, tout comme ton billet :coeur
Roh la la, au bureau on s’évanouirait si je disais que tu as nettoyé ton poudrier avec du bicarbonate! han!sacrilège! ;)
Avec tout ce qu’on me rabache à longueur de journée sur l’argent, j’imagine qu’il faut que tu fasses comme avec les couverts: il paraît que plus tu les utilises, moins ils s’oxydent…
Tant de souvenirs renfermés dans ce poudrier! Je l’imagine voyageant avec ta tante, témoin précieux de ses rdv galants…
Très joli poudrier, et très beau texte, qui rend un bel hommage à son histoire.
J’aime ces objets, précieux ou anodins, qui nous susurrent des histoires à l’oreille, nous parlent du passé et de nos ancêtres…
Magnifique objet… je parie que le talc vient de Santa Maria Novella! Les produits y ont une odeur si particulière… je suis amoureuse du sel de bain à la grenade… Une merveille…
C’est étrange, telle que tu la décris, ta grande tante me fait beaucoup penser à ma grand-mère… qui m’a offert deux poudriers (un Guerlain et un « clou ») quand j’étais ado. Je ne les ai jamais utilisés…
Comme il est délicat ce poudrier.
je ferme les yeux et je peux sentir son doux parfum…
Tu devais être bien sage pour mériter de tels trésors.
Il est très beau ce poudrier, il a un charme désuet très touchant!
La manière dont tu relates ta réappropriation de cet objet et le sentiment d’une rencontre mal organisée est très jolie, toujours aussi poétique.
Ah vraiment, j’aime beaucoup tes textes!
Et vive le bicarbonate !
Ce poudrier est vraiment superbe…Bel objet qui te suivra toute ta vie je pense.Ce texte est vraiment superbe, très émouvant et pleins de souvenirs, on imagine ta tante tout le long de la lecture…
quelle belle histoire d’objet…je suis très sensible aux objets vivant !
magnifique ce poudrier !
je trouve tout de magnifique dans ce billet , merci <3 !
il est magnifique!
il est plein de mélancolie et de beauté!
j’adore les objets teintés de douceur et de romantisme!
Je t’invite à jeter un petit coup d’oeil sur mon blog si tu aimes cet esprit… ;)
A bientôt
http://frederiquekragbe.blogspot.com
wow, c’est beau! Ce que j’aime dans ce genre d’objet, c’est qu’on sent qu’il a appartenu à quelqu’un qui l’a chéri, car l’objet est « habité » et possède une âme: ça a voyagé, traversé des époques etc. Tu dois en être très fière. :clin
Je viens de découvrir la notion de fillosophie, et je trouve ça merveilleux.
Heureusement qu’il y a les filles pour être subtiles : grâce à ça, ça nous arrive aussi parfois, à nous les mecs.
En parcourant ton récit, je me suis rendue compte que moi aussi, j’avais un bijou en argent, que j’avais trop longtemps laissé de côté. Il faut dire aussi qu’il s’était oxydé et que je ne savais pas comment lui redonner vie. Merci alors pour cette astuce avec le bicarbonate de soude. Étrangement, il fait partie de ma cuisine. Mais je ne me pose jamais la question qu’il me pourrait être d’une autre utilité.
Tu as une magnifique façon d’écrire, je tiens à te le dire.
Ce pouvoir de l’objet, je pense que nous l’éprouvons tous un jour. Une pièce dénichée, retrouvée par hasard ou encore par des mains chères….vil ou splendide, porteur d’une mémoire ou mystérieux témoin dont le charme seul opère sur notre âme, l’objet nous fascine et nous montre finalement un chemin, ou alors rejoint tout simplement le nôtre.
Pour l’argent, la craie blanche est également très efficace.
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