Le champs de mars, avec ses contre-allées ombragées et spacieuses, et ses innombrables décrochements qui sont autant de petites variations dans le parcours, dispose d’une configuration idéale pour les coureurs de tous poils, très nombreux si on se promène dans les parages à certaines heures propices.
Je n’avais jamais remarqué à quel point cette petite communauté silencieuse, qui ne partage rien de plus que le paysage et la sonorité particulière des chaussures de tennis sur le gravier un peu terreux, était intéressante.
Hier, il y avait ce jeune garçon athlétique que de grandes foulées amples cataloguait d’emblée parmi les coureurs chevronnés et qui avançait pourtant, tel Rachel dans le mythique épisode du jogging (Friends, évidemment), les membres totalement désarticulés: un pantin dont on agite maladroitement les fils à quelques centimètres au-dessus du sol et qui singe, plus qu’il ne mime, l’allure de la course. Forcer tout à la fois le rire et l’admiration, voilà qui était singulier.
Mais il y aurait des choses à dire sur chaque coureur. Ceux qui courent avec l’air de retenir comme ils peuvent une chute en avant ; d’autres au contraire, pour qui les jambes paraissent tracter le reste du corps ; ceux qu’on croirait poursuivis par quelque bandit résolu à les descendre, avec leurs yeux exorbités et leur joues à bout de souffle ; Ceux dont l’allure hachée témoigne d’un effort surhumain et d’autres qui papotent avec aisance malgré une foulée allongée. Les élégants, finalement peu nombreux autour desquels on visualise tout de suite la plage de sable fin et le logo d’une marque de sport en bas de page, et ceux, enfin, dont les membres semblent bouger chacun au rythme d’une musique différente…
Chacun, à vrai dire, a une façon de courir qui lui est propre. Si on les réunissait tous ensemble dans un petit périmètre, je suis prête à parier qu’on pourrait aisément les confondre avec un de ces séminaires bizarres où on vous apprend à vous « reconnecter avec vous-même ». Et c’est peut être plus proche de la réalité qu’il n’y paraît, le ridicule en moins. Chez les coureurs, il y a cette libération totale du corps. Une pause dans le quotidien, où les conventions esthétiques et sociales sont, elles aussi, laissées au vestiaire.
On ne trouve pas cela dans les salles de sport où l’on s’épie, se jauge, se juge et où les sportifs, le plus souvent – parfois à leur corps défendant – sont aussi en représentation. Je n’avais jamais remarqué cela, jusqu’à présent et je vais vous dire, pour la première fois, j’ai eu envie d’être avec eux. Avoir ce moment, dans la vie, où tourné vers l’effort simple d’avancer un peu plus vite, plus rien d’autre ne compte. Et où, alors, on s’oublie totalement.
22 réflexions sur “Ils courent, ils courent”
J’apprécie vraiment vos mots… Ecrire avec l’encre du cœur… Amitiés sincères…
J’adore ce billet! On a l’impression d’entendre le bruit de la chaussure qui s’enfonce dans le sable du jardin du luxembourg, en arrière fond sonore, les rires d’enfants, la respiration des coureurs…
Moi j’adore le bruit des pas dans les gravillons quand je cours… mais bizarrement, j’écoute de la musique à chaque fois, donc je ne les entends pas. Et contre toute attente, j’acoute plutôt du classique. Ca me transporte.
Joli billet en tout cas !
je vais courir juste pour ça… le moment ou on oublie tout. sinon pour une fois que je peux apporter une petite précision à ce blog qui m’apporte tant de plaisir je me lance : ce n’est pas rachelle qui court de façon désarticulée mais phoebe ! (du coup rachel a honte et elle ne veut plus courir avec elle mais elle n’ose pas lui dire pourquoi….)
Héhé non mon capitaine :)
En fait Pheobe, court bizarrement mais aussi Rachel, à la fin de l’épisode qui découvre que ça rend la course bien plus agréable. Comme de sa part, c’est plus étonnant que de la part du personnage de Pheobe, c’est Rachel que j’ai mentionnée. (tu peux me croire, j’ai passé une heure à chercher/trouver/visionner l’épisode en streaming pour tenter de trouver une capture d’écran qui puisse illustrer ce billet… sans succès, les captures étaient atroces, mais au moins, j’ai bien ri, une fois de plus :)
Ah ah, je n’ai jamais vu quelqu’un courir comme Jennifer Aniston (et je me souviens très bien de l’épisode ou elle court avec Phoebe qui courait aussi n’importe comment :rit )
Mais la course à pied, c’est en effet quelque chose de vraiment personnel, de concentration, et d’écoute de son corps et des sensations qui en émergent.
Par contre, courir à Paris, c’est d’un triste, j’ai couru 2 ans dans une grande forêt et courir dans le jardin des plantes par exemple change du tout au tout! (d’ailleurs je milite pour le retour d’une vraie forêt en plein Paris ^-^)
Ah là là à qui le dis tu! Je milite sans hésiter avec toi pour une forêt en plein Paris. Je crois que ça pourrait même suffire à me passer l’envie de déménager en province :)
Je me demande bien à quoi je peux ressembler, moi qui ai recommencé à courir il y a 10 jours… l’avantage, dans ma campagne, c’est que je n’y croise personne ! (je devrais essayer de faire comme Rachel, ça doit être vachement plus agréable)
bonjour,
voilà pourquoi on court…
et voilà pourquoi certain(e)s n’osent pas s’y mettre, par peur du regard des autres, justement. peur de perdre le contrôle?
la course à pied devient vraiment un truc personnel, individuel dans le sens où le ressenti n’appartient qu’à nous: même s’il y a des signes physiques, il n’y a quand même que moi qui sait si je suis au max ou si je trottine pour me balader.
et le plaisir de courir, une fois qu’il ne pense plus à son apparence, n’appartient qu’au coureur.
tu sais, si tu as envie de t’y mettre, il suffit d’une paire de baskets :)
ahh le footing, tu décris parfaitement l’ambiance! Pour les timides dans mon genre, c’est le sport rêvé : les gens ne se regardent pas vraiment, on peut profiter à fond du moment de détente (même si on a du mal à courir ne serait-ce que 15 minutes comme moi), bref tout à fait d’accord!
Au fait, j’ai commandé coffee and cigarettes après avoir lu ton article et je le savoure! merci pour cette découverte!
Tu as beau très très bien écrit, là tu n’arriveras pas à m’avoir avec tes jolis mots. Courir, c’est la souffrance absolu. Je rajouterai même qu’il faut être un brin maso pour aimait ça.
Je passe mon tour ! :)
J’adore ce billet !
Moi aussi, je les trouve amusants, les gens qui courent. un de ceux qui courent dans mon con, à la campagne, est bizarrement foutu. il a les jambes complètement en X, c’est très étrange….
Moi j’essaie d’aller en salle 2 fois par semaine (vélo +course) sinon je me suis mise au VTT avec mon homme !! dur dur quand même! mais ce que je n’aime pas du tout c’est courir dehors.
en tout cas j’adore ton univers :) et hop en favoris !
Tout à fait d’accord avec toi! Moi ça fait bientôt 6 mois que je cours 3/4 d’h, voire 1h, tous les dimanches dans un bois à côté de chez moi, toute seule et sans musique. Avant j’allais (j’essayais d’aller serait plus juste!) à la piscine, mais finalement je trouve ça moins agréable de faire 1h d’aller-retour dans un bassin de 25 m, que 8km de course dans le bois… C’est comme se balader en forêt mais plus rapidement et ça défoule.
C’est un très joli texte qui parle parfaitement à la joggeuse du dimanche que je suis !
Courir est en effet quelque chose de très personnel, un moment à soi où effectivement les autres n’existent plus vraiment..
Courir, c’est aussi ce qui me fait le plus de bien quand ça ne va pas. J’avoue avoir parfois séché mes larmes en courant… et y avoir aussi trouvé de l’énergie pour repartir de l’avant ;-)
Hehe, moi je vais courir au champ de Mars, alors je connais bien cette petite communaute que tu decris si justement, ses habitues, ses excentriques, et aussi ses regles silencieuses…
As-tu lu: Portrait de l’auteur en coureur de fond de Murakami ?
J’aime bien suivre ton blog. On te sens grandir au fil des posts, et je trouve ta plume de plus en plus precise, lucide et sensible. Merci Anne-So !
Tu as raison, il y a quelque chose de très noble dans la course à pieds, bien que ce soit une discipline très populaire. Moi j’ai toujours eu horreur de courir, à peine ai-je parcouru 100 mètres que je pleure ma mère. Je ne suis pas du tout courageuse, avant j’étais très sportive mais pas du tout endurante, et j’ai toujours beaucoup admiré les coureurs. Quant à ceux qui arrivent à faire un marathon, alors là je dis chapeau ! De vrais athlètes !
Moi aussi, j’allais courir au Champ de Mars avant de quitter Paris. Et ce qui m’a toujours traumatisé, c’est que au moins en semaine, 80% des joggeurs sont des militaires ou d’anciens militaires. Donc ils courent vite, et bien. Et ça me déprimait toujours un chouïa d’être doublée par des papis, par des gamins, bref par tout le monde ! L’ambiance le WE est tout à fait différente…
Très beau billet qui m’a donné envie de mettre mes baskets :)
De retour d’un week-end passé à Oxford,
j’ai été très surprise par le nombre de coureurs en ville (malgré le froid)!
Je rejoins le commentaire d’Anouchka sur le côté noble de cette activité,
j’avais sous mes yeux l’application parfaite de « un esprit sain dans un corps sain ».
Comme Bea je te conseille le livre de Murakami sur le sujet il est vraiment étonnant,
il va à l’essentiel
Trés beau billet en effet, ca donne envie, quoi que.
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