J’ai vérifié, sur le réveil. Il est quatre heures. J’ai beau refuser d’allumer la lumière, le sommeil, je le sais, ne viendra pas. Le terrain de jeu des confusions nocturnes occupe à présent tout l’espace, on ne peux rien contre lui. C’est drôle comme tout est remis en question, à ce moment-là. C’est toujours l’heure où tout bascule. Les morceaux de rêves dans lesquels on plonge quelques courtes secondes ont la couleur les hallucinations.
Quatre heures dix. Cette nuit, c’est toujours toi qui reviens. Toi que je voudrais tant aimer davantage, aimer mieux. On a beaucoup parlé de toi, ces temps-ci, c’est peut-être pour ça. Toi qui peux te laisser emporter par l’enfer si facilement et que je voudrais savoir retenir, même si ce n’est sans doute pas mon rôle. Si tu savais comme je pense à toi, toujours. Et comme je sais combien ces pensées sont stériles. Penser, ça ne nous avance pas beaucoup. Peut-être que c’est seulement de l’amour qui n’a jamais trouvé sa forme, que ça viendra un jour…
Quatre heures et demie. Une idée chassant l’autre, de vieilles frayeurs d’artiste un peu paumé refont surface. Des que je croyais avoir terrassées il y a longtemps. Les dragons vaincus renaissent quelquefois de leurs cendres. Cette histoire qui tourne en rond, qui rebrousse chemin. Ce roman qui ne sait pas ce qu’il veut, et dont l’auteur ne sait pas où il va. Une idée qu’il faudrait peut-être abandonner, finalement. Pour cela, il faut cesser totalement de l’aimer, on n’en est pas là. Abandonner en cours de route des héros qu’on n’a pas fini de faire grandir, c’est compliqué. Pire que ça, c’est un peu immoral. Et ce trop de travail permanent, là, ça rime à quoi? Ça t’emmène où? Te voilà bien avancée avec mille projets sur les bras qui te conduisent là où tu n’es pas sûre d’avoir envie d’aller. On dirait que tu refuses de voir ce qui est important.
Quatre heures quarante. Un Doliprane, une clope. Se soigner et se faire du mal à la fois. Étrange comportement. S’il faisait jour maintenant, le ciel serait tout bleu, mais il ne fait pas jour. Il faut bien faire avec. Ce serait peut-être bien de pleurer un coup. Je suis au bord d’en avoir envie, tout près d’en être capable. Mais non, je ne sais plus trop faire ça, pleurer, ça m’épuise d’avance. Et puis là, dans le noir, j’ai l’intuition que ça pourrait bien briser quelque chose, à commencer par le silence, seul reste rassurant de cette nuit étrange.
Quatre heures cinquante deux. Bribe de rêve. C’était Londres et la plage et une maison qui ressemble à la mienne, mais ce n’était pas tout à fait ça. J’avais fui quelque chose en prenant un train. Qu’est-ce que je peux donc fuir? NON. Je ne fuis rien. Ce rêve ne dit que des mensonges. Pourquoi les songes semblent tous avoir quelque chose à me dire, ce soir? Taisez-vous donc. Je ne veux rien entendre. Et pour votre information : NON, je ne fuis rien. Je fais face. Je suis une grande fille et je n’ai pas peur. D’ailleurs tenez, voilà, je pense à mon voyage, vous ne pourrez pas me gâcher ce plaisir.
Cinq heures six. Mauvaise idée. C’était mon horizon ce beau voyage et je suis près de l’atteindre. Derrière, c’est l’inconnu : peut-être qu’il n’y a plus rien. Je me tiens en pensée à la proue d’un bateau et ça me donne le vertige. Le bateau? La mer? Le piano? Les copains? Les petits éclats du cœur? Les livres? Rien ne marche. Tout est une mauvaise idée et tourne immanquablement au cauchemar. Il y a peut-être un monstre sous le lit, finalement. Tout à l’air possible. Mais je préfère ne pas regarder : si je l’apercevais, je n’aurais pas le courage de me battre contre lui. Pas maintenant. Signe, sans doute, que l’épuisement commence enfin à se faire sentir.
Cinq heures vingt cinq. Finalement, les larmes n’étaient pas nécessaires pour briser le silence : un oiseau s’est mis à chanter. Que fait-il debout à cette heure? Il fait noir dehors et il y a ce petit oiseau, qui sifflote. C’est drôle, on dirait qu’il fredonne. Comme nous aussi on fait des fois lorsqu’on est sûr de n’être entendu par personne. Oui, c’est bien ça, il fredonne. Et il y a cette mélodie spontanée, celle qui se fabrique toute seule, comme ça, sans faire exprès. Je prends conscience que je vais m’endormir bercée par le chant d’un oiseau. Il n’y a que les dessins animés, normalement, pour faire ça. C’est presque toujours quand on ne cherche pas les belles choses qu’on les trouve, on en revient toujours au même. Il suffit simplement d’être patient.