Le vocabulaire marin est probablement l’un des plus riches qui soit. Je soupçonne certains auteurs d’avoir placé leurs intrigues sur de vieux navires aux gréements compliqués pour la manne sémantique et poétique que représente la vie à bord. Pour vous en convaincre, essayez donc de lire « Capitaines Courageux » (Kipling) sans l’aide d’un dictionnaire.
Un bateau, par exemple, ne croyez pas que ce soit si simple à désigner. Vous et moi appelons un bateau un bateau, ce qui semble tomber sous le sens. Ce n’est pourtant pas l’habitude des gars de la marine marchande qui nomment les leurs navires, appellation commune pour les embarcations destinées à naviguer au-delà des règlementations propres aux eaux intérieures. Dans l’armée, ils sont appelés bâtiments. Je passe sur les dénominations propres à chaque type de bateau car il y aurait de quoi écrire un livre. Mais sont-ils si nombreux, finalement, ceux qui savent ce que sont exactement les frégates, les goélettes?
En réalité, c’est sur le bateau lui-même que vous ne devriez pas vous aventurer sans le secours d’un bon Petit Robert. Illustré de préférence. Sur une embarcation à voile, tout possède son nom particulier. Appelez donc une corde par ce qu’elle est (une corde) et vous verrez tout le monde autour de vous ouvrir de grands yeux indignés. On vous expliquera bien vite qu’on ne dit jamais « cordes » ici, mais bout – prononcez « boute ». Et n’espérez pas, avec cela, vous en tirer à bon compte, car chaque bout à son nom. Ici c’est une drisse, là une écoute, ici une retenue. Un bout ne s’enroule pas, il se love ou bien il se tourne selon ce que vous voulez en faire. On le tourne au cabillot, sur le banc des dames, ou encore autour d’un taquet. Un tour mort, un tour croisé, une demie-clef, ou une autre méthode selon les exigences du commandant.
Les mâts, les voiles répondent, eux aussi, à des appellations particulières : Misaine, Beaupré, Artimon pour ne citer que les plus connus. Le nombre de voiles, sur certains gréements, est à donner le tournis. Chacune d’entre elles, évidemment, porte également son nom à l’exception des voiles d’étai qui, elles, n’ont pas cette chance et qu’on désignera surtout par leur petits défauts ou par leurs déchirures – on hisse « la vieille », « la verte », « celle qui est recousue au point d’amure ». Certains d’entre eux sont ravissants : Yankee, Civadière, Brigantine (mon préféré) et même Petit Perroquet Volant (à la limite du ridicule). Dois-je entrer dans les détails propres à la voile elle-même? Point de drisse, bandes de ris, guindant, ralingue… dans tous les cas, là non plus, sachez qu’on ne s’en sort pas du premier coup.
Quand bien même vous auriez révisé avant d’embarquer, vous êtes bien loin d’être tiré d’affaire : les dénominations varient en fonction du type d’embarcation… et des habitudes du bord. Vous croyiez savoir où se trouve le cabestan? Mais voilà qu’ici on l’appelle guindeau (le treuil, sur ce bateau, n’est pas vertical mais horizontal, la belle affaire). Vous pensiez avoir identifié la timonerie, et au premier coup d’œil en plus! Raté, ici, c’est la passerelle.
Et lorsque vous avez mémorisé ceci, il faut encore se familiariser avec le reste. C’est-à-dire TOUT le reste : palan, écubier, lisse, penons, badernes, lazy jack, rabans, nœud de chaise ou d’écoute, étais… Car tout cela, figurez-vous, ne va pas tarder à former des phrases. Des phrases aussi jolies qu’obscures.
« Toi, là bas! Au cabillot, vite. Biture-moi les drisses, on affale tout ». Et bienvenue à bord.