Il y a ce moment après avoir passé des heures à éplucher la plage. Souvent, ça se passe après dîner, sous prétexte de les faire sécher. Je les étale sur la table en faisant attention à ne rien casser. C’est un joli bruit, celui des coquillages renversés sur la table. Un bruit de ruisseau.
Ensuite, c’est presque toujours la même chose. Instinctivement, l’œil recherche les plus belles prises de la journée : cette minuscule pétoncle rouge, qui par miracle n’était pas cassée, les quatre grains de cafés… Tiens voilà le premier. Et puis celui-là, le noir. Le troisième, le tacheté… Et de fil en aiguille, presque sans m’en rendre compte, je commence à trier. Par taille, par couleur (évidemment), par espèce, les petits tas se forment. C’est une petite chasse, comme un peu plus tôt, sur la plage. Sauf que cette fois, tout est joli : pas de coquillage cassé, pas de fausse joie, juste le meilleur.
Souvent, les personnes qui se trouvent avec moi finissent par s’intéresser à ce petit trafic, s’installent autour de la table et trient à leur tour. On dirait une sorte de soirée puzzle, sauf que c’est à nous de décider à quoi ça va ressembler à la fin. On en prend un, tiens, regarde celui-là, tu as vu les stries bleues? Tout le monde commente et s’extasie. Ça me surprend toujours, ce plaisir des autres à prendre part à ce moment : sur la plage, je suis toujours toute seule à les chercher, à part de temps en temps quelques enfants ou un touriste. Là non, les autres aussi sont de la partie. C’est mieux.
En triant, on prend un dernier verre de vin ou le café, on papote, la lumière baisse… Et puis au bout d’un certain temps, tout a trouvé sa place alors on refait un grand tas et on range. C’est toujours un moment dont il ne reste rien. Sauf la dernière fois : quelques photos. Juste pour voir.