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Petit voyage en blanc

Vous l’avez certainement entendu aux informations : plus de vingt centimètres de neige sont tombés sur la Manche, au début de la semaine. Ici, à Granville, c’est très inhabituel. Tant et si bien que personne ne sait comment la prendre, la neige. Ça a créé comme une petite panique tranquille : les magasins restaient aussi fermés qu’un premier mai, les granvillais étaient cloîtrés. À part quelques gamins qui jouaient à faire de la luge avec un sac poubelle dans les escaliers de la ville, personne. À quelques autres rares exceptions près, il n’y avait pas grand monde à mettre le nez dehors.

Ainsi, nous étions seules, autour de neuf heures du matin, à gravir la rue des juifs pour contempler l’étrangeté du paysage depuis la pointe du Roc. Toute la ville, soudain, était différente. Je veux dire : ici, c’est le bord de mer qui a toutes les faveurs. Or mardi matin la plage n’avait plus le moindre intérêt. Les vagues faisaient tout leur possible pour attirer l’attention en se jetant sur la digue du Plat Gousset avec tout le panache dont elles étaient capables, ça n’intéressait personne.

Soudain, Granville était une autre ville, pourvue d’une toute nouvelle beauté. Une beauté qui n’était pas plus belle que l’autre, non, une beauté autre. Il fallait la chercher ailleurs : regarder du côté de la vieille ville, par exemple, avec ses rues entassées les unes sur les autres, ses toits collés dans tous les sens, le vieux presbytère de Notre Dame qui ressemble à un petit château perché. La neige, en accentuant leur relief, leur donnait un charme inédit.

Ça m’a fait penser à quelque chose qui nous arrive aussi quelquefois dans la vie : un élément apparemment anodin qui redistribue toutes les cartes. Qui modifie, littéralement, les perspectives. Quand on part seul en voyage, par exemple, et qu’on redevient neuf aux yeux de tout le monde.

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