Pendant des années, mon père a exercé la profession d’architecte et, même si ce n’était pas l’essentiel de son activité, il lui arrivait souvent de dessiner dans son cabinet, que ce soit pour les besoins de son travail ou pour son plaisir. J’adorais le regarder faire et me rappelle très précisément la fascination qu’exerçaient sur moi les traits abstraits qui, au bout d’un certain temps, formaient un « tout » signifiant.
Je me souviens aussi d’autre chose : à chaque fois que je lui courais après pour lui demander de m’apprendre à faire la même chose, il avait cette réponse frustrante et énigmatique : « Si tu veux dessiner, ma chérie, il n’y a qu’un moyen : prends un papier et un crayon, installe-toi. Et dessine. »
Méthode qui était hélas loin de faire ses preuves avec moi. La fracture entre ce que je tentais de reproduire et ce qui apparaissait sur le papier était si grande que je ne parvenais pas toujours à faire le lien entre le modèle et mon dessin. Conclusion de cette histoire : après deux ou trois essais infructueux, à seulement sept ou huit ans, je décrétais que je n’étais pas douée. Ce qui sonne généralement le glas de toute tentative de pratique artistique.
Douée. Ah là là, si on savait quelles terrifiantes barrières ce simple mot dresse entre nous et pratiquement tout ce qui émoustille nos élans créatifs…
Car douée, je l’étais pourtant. Tout comme vous d’ailleurs.
Peut-être pas douée pour concurrencer Caravage ou Picasso, mais douée au sens de capable. Ça oui. Capables, nous le sommes tous. Et assez facilement, en plus, comme vous allez le voir.
Un des exemples les plus parlants, je l’ai trouvé par hasard dans cette vidéo de Graham Shaw lors d’une conférence TED. Conférencier et coach en communication visuelle, il démontre comment, en quinze minutes, vous pouvez apprendre à griffonner une galerie de personnages à partir de quelques éléments simples. Pour tenter l’expérience, il vous suffit de vous munir d’un papier, d’un crayon et d’un gros quart d’heure. Si vous n’avez vraiment pas la moindre compétence en dessin, c’est édifiant et je vous invite vivement à essayer !
Cependant, même si cet exercice apporte une première démonstration de notre aptitude quasi universelle pour le dessin, nous n’apprenons ici aucune technique, aucune méthode qui nous permettrait de transformer l’essai chez soi avec d’autre types de sujets (des objets, par exemple, ou bien des paysages). Et, sans doute serez vous d’accord avec moi : une fois qu’on découvre un pouvoir qu’on ne se savait pas posséder, on a envie de le mettre à l’épreuve avec quelque chose de plus difficile.
C’est dans le célèbre livre de Betty Edwards « Dessiner grâce au cerveau droit » que j’ai trouvé mon miel. La lecture et la pratique de cet ouvrage on été une révélation sur bien des plans. Avant de vous exposer les principes clefs de sa méthode, voici le résultat d’un des premiers exercices du livre. J’espère que vous me croirez quand je vous dis que jamais je n’aurais pensé être capable de « reproduire » ce portrait de Stravinsky par Picasso. Et certainement pas dès le deuxième exercice !
L’approche de Betty Edwards est singulière, mais elle a si bien fait ses preuves en quarante ans (le livre date de 1978) qu’elle mérite d’être considérée avec le plus grand sérieux, même s’il semble que la science ait rebroussé chemin depuis, sur les notions de « cerveau droit » ou de « cerveau gauche ». Pour nous apprendre à dessiner, Edwards s’applique, via toute une palette d’exercices, à mettre au pas cette partie rationnelle et contrôlante de notre cerveau qui bloque nos dispositions naturelles à « voir ». Ou plutôt à « percevoir ». Car pour l’auteur, dessiner est surtout affaire d’observation.
Le peintre dessine avec ses yeux et non avec ses mains. Ce qu’il voit, s’il le voit clairement, il peut le reproduire. Cela lui demande peut-être plus de soin et de travail, mais pas plus d’agilité musculaire que nécessaire pour écrire son nom. Voir clair, voilà ce qui est nécessaire. » – Maurice Grosser – The Painter’s Eye (citation extraite de Dessiner Grâce au cerveau droit)
Mais tout ça ne dit pas comment, sans compétences particulières, j’ai pu réaliser une copie de ce portrait convaincante, en une bonne demie heure seulement.
L’exercice consistait en fait à reproduire le dessin placé tête bêche de sorte que l’élève ne puisse plus s’appuyer sur les représentations symboliques qu’il s’est forgé au fil des ans ( de type « un œil ressemble à un cercle piégé entre deux arcs », « un soleil est un rond entouré de petits traits »…). Ainsi, tous mes repères étant brouillés, je n’avais d’autre choix que de me concentrer sur ce brouillamini de lignes incohérentes en tentant de les suivre une par une, courbe après courbe, en partant d’un angle du dessin. Cet exercice est un exemple typique de la méthode de Betty Edwards.
La semaine qui a suivi l’exécution de ce dessin, j’ai passé mon temps à le montrer à tout le monde avec l’impression d’avoir réussi un bon tour de magie, mais un tour de magie que je suis heureuse de pouvoir expliquer.
Ces deux expériences ont un point commun : elle sont toutes deux faciles à réaliser et extrêmement gratifiantes. J’ai souvent remarqué que dans bien des domaines, une première expérience de ce genre constituait le tremplin parfait pour prendre confiance en soi et se lancer.
Dans la pratique du piano, par exemple : après des années sans toucher un clavier, ce sont les morceaux d’Amélie Poulain – qui paraissent bien plus difficiles qu’ils ne sont en réalité et permettent d’obtenir rapidement des résultats plaisants à l’oreille – qui m’ont remis le pied à l’étrier. Durant les ateliers photos que je donne deux ou trois fois par an, c’est pareil : je fais toujours en sorte que les premiers apprentissages aient aussi cet effet « Wouaouh », parce que rien ne donne une meilleure énergie que ces moments où l’on prend conscience d’une aptitude qui ne demande qu’à être nourrie.
En matière de dessin puisque c’est ce dont il est question aujourd’hui : les gouttes d’eau et les bulles de savon sont un exercice idéal. Dessiner une goutte d’eau vraisemblable à partir d’une simple observation ou de mémoire n’a rien d’une sinécure. Si vous n’avez jamais appris à dessiner, il est peu probable que vous y parveniez. Mais il en va tout autrement d’une goutte que l’on dessine pas à pas, en suivant des instructions précises et détaillées : le travail, en étant découpé, est considérablement simplifié et il suffit – presque – de se laisser porter.
J’ai dessiné cette sphère transparente grâce à ce pas à pas en vidéo (mais il en existe bien d’autres sur YouTube, l’avantage de celui-ci est d’être en français). Impressionnant, n’est-ce pas ? Et pourtant, pas si difficile. Là encore, je vous invite à en faire l’expérience vous-même.
Si, comme moi, vous pensiez que vous serez incapable de réaliser ce dessin, vous verrez comme cela permet de faire évoluer votre perception des possibilités inexploitées qui sommeillent en vous.
Je vous souhaite une fin de semaine magnifique. À jeudi prochain !
Anne-Solange
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☞ Why people believe they can’t draw – and how to prove they can, la vidéo TEDx de Graham Shaw
☞ Dessiner grâce au cerveau droit* de Betty Edwards (dont je suis sûre, je vous reparlerai). Il est régulièrement en rupture de stock, mais réédité très fréquemment.
☞ Comment dessiner des billes transparentes réalistes, la vidéo de tuto draw.