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Par où commencer ?

Cette semaine, j’ai présenté à un éditeur un projet de livre. De ces projets qui vous tiennent éveillés de longues heures au milieu de la nuit car l’enthousiasme et l’ambition que vous avez pour eux vous dépasse un peu.

Quelle étape particulière que les premiers pas d’un projet : soudain, vous n’avez plus d’yeux que pour quelque chose qui ironiquement n’existe pas encore et tout votre travail consiste à ne pas le lâcher du regard. Le scruter patiemment, le regarder évoluer, se préciser, lui lâcher la bride quelquefois et le voir emprunter une route ou une autre jusqu’à ce que vous vous sentiez capable de prendre quelques notes et le décrire à une autre personne. Ce moment où, d’immatérielle, une idée s’ancre (ou s’encre, justement) dans la réalité.

Etrangement, en même temps que tout devient plus clair, c’est là que les choses se compliquent. Au soulagement d’avoir enfin pu capturer l’essence d’une idée qui vous tourne autour depuis des semaines, succède immédiatement ce vertige : « Et maintenant que je t’ai reconnue, que tu t’es présentée à moi… comment vais-je te faire exister, Idée ? Et par où commencer ? »

Coïncidence amusante, c’est précisément dans cette tourmente que j’ai lu En vivant, en écrivant, le livre de l’auteure américaine Annie Dillard qui écrit à ce sujet :

Pourquoi ne trouves-tu jamais aucun écrit sur cette pensée particulière dont tu parles, sur ta fascination pour une chose que personne d’autre ne comprend? Parce que c’est à toi de jouer. Voici une chose que tu trouves intéressante, pour une raison difficile à expliquer. C’est difficile à expliquer parce que tu ne l’as jamais lu sur aucune page ; voilà par où commencer. Tu as été créé en ce monde pour donner voix à cela, à ton propre étonnement. »

Donner voix à son propre étonnement.

Quel programme ! Magnifique oui, mais aussi : terrifiant !

Je me demande qui a bien pu faire naître le fameux mythe de l’auteur assis tranquillement à sa table de travail attendant, confiant, les multiples idées géniales qui ne manqueront pas de surgir de son cerveau, ou bien s’attelant à la tâche avec une évidence facile, la plume ou le pinceau courant librement sur le papier mus par une sorte d’énergie divine. À l’exception de rares moments de grâce, je ne connais aucun auteur (artiste, entrepreneur, inventeur…) pour qui les choses se passent de cette façon.

Il me semble au contraire que le travail de création, quel qu’il soit, impose une lutte sans relâche contre cette impression d’absurdité. Cet « À quoi bon » sournois dont les échos reviennent sans cesse rôder aux abords des idées. Elizabeth Gilbert, dans son livre Big Magic ( Comme par magie, en français ) a une manière bien à elle de parler à cette peur afin de lui tenir la bride :

Très chère peur, Créativité et moi nous apprêtons à partir faire une virée ensemble, en bagnole. Je crois savoir que tu seras de la partie, car tu nous accompagnes toujours. Je sais que tu es convaincue que tu as un rôle important à jouer dans ma vie et que tu prends cette mission très au sérieux. […] Donc ne te gêne pas, continue de faire ton boulot, si tu estimes que c’est nécessaire. Mais, durant cette virée, je vais également faire mon travail, qui consiste à me donner beaucoup de mal et à rester concentrée. Et Créativité fera elle aussi le sien, qui consiste à me stimuler et à m’inspirer. Etant donné qu’il y a toute la place nécessaire dans ce véhicule pour nous trois, mets-toi à ton aise, mais n’oublie pas ceci : Créativité et moi serons les seules à prendre les décisions en route. Comme je suis consciente que tu fais partie de la famille, je te respecte et je ne t’exclurai jamais de nos activités, mais malgré tout, tes suggestions ne seront jamais suivies. Tu as le droit d’avoir un siège, tu as le droit de t’exprimer, mais tu n’as pas le droit de vote. Tu n’as pas le droit de toucher aux cartes routières ; ni de proposer un autre itinéraire ; tu n’as pas le droit de toucher à la climatisation. Ma cocotte, tu n’as même pas le droit de tripoter l’autoradio. Mais par-dessus tout, ma vieille et familière amie, il t’est formellement interdit de prendre le volant. »

La peur, vue comme une émotion indissociable de toute tentative de créer quelque chose de nouveau – que ce soit un livre, un rêve, un modèle familial, un mode de vie – voilà qui nous aide à la contempler différemment, et à mieux l’accueillir, n’est-ce-pas? 

Je vous souhaite une très belle semaine.  À jeudi prochain !

Anne-Solange

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Pour aller plus loin voici les livres et articles dont il est question ici

☞ En vivant, en écrivant* est un essai de l’écrivaine américaine Annie Dillard à propos du processus d’écriture et donc de création en général. Si vous êtes intéressé.e par les mystères de l’écriture, il peut faire un excellent contrepoint à un autre livre que j’avais aimé sur le même thème : Écriture, mémoires d’un métier*, de Stephen King.

☞ Dans Comme par magie, vivre sa créativité sans la craindre* Elizabeth Gilbert, auteur du célèbre roman autobiographique Mange Prie Aime*, raconte cette fois son parcours d’écrivaine et à travers lui, livre une foule d’observations passionnantes à propos de la créativité, dans son sens le plus large. C’est une lecture parfaitement réjouissante, qui donne envie

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