Dehors, une pluie furibonde tambourine aux carreaux, peut-être pour supplier qu’on la laisse entrer, peut-être parce qu’elle est en colère ou bien seulement parce qu’elle est la pluie et que de s’abattre comme ça aux fenêtres des gens n’est rien de plus qu’un divertissement de pluie. Il ne sait pas.
Le salon est jonché de papiers de soie cent fois rafistolés de toutes les couleurs. Des grappes de notes s’échappent lentement de la chaîne hi-fi pendant qu’une bougie diffuse un parfum synthétique hors de prix supposé rappeler l’odeur des tubéreuses. L’air a un goût de sucre et de sapin fraîchement coupé. Le mauvais temps a précipité la tombée du jour, mais pour une fois, ça cadre bien avec l’ambiance. Aujourd’hui, c’est le disque « bonheur domestique » qui tourne à plein régime dans la maison.
Dans une tenue d’intérieur très étudiée pour paraître négligée, elle gesticule autour de l’arbre comme un peintre affairé autour de son modèle. Les décorations de Noël sont quelque chose de très sérieux, qui méritent en tout cas qu’elle mâchonne parfois une mèche de cheveux quand elle ne parvient pas à choisir l’ornement idéal pour telle branche, comment équilibrer telle disproportion, combler tel vide entre deux boules.
Il la regarde faire. Elle est insupportable et attendrissante avec cette manie de vouloir à tout prix faire exister ces choses qui ne vivent jamais que dans l’image qu’on se fait d’elles. Cette façon artificielle de se fabriquer des souvenirs. Surtout insupportable, en fait.
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Pour que tout soit parfait à ses yeux, il sait qu’il devrait partager ce moment avec elle. Afficher une mine réjouie au moment de brancher la guirlande lumineuse, la prendre dans ses bras pour lui redire qu’il l’aime. Jouer au bonheur, comme si le bonheur c’était ça. Il voudrait bien l’aider à parfaire son image d’Epinal, mais c’est trop lui demander.
Là où elle semble faire renaître ses souvenirs d’enfance dans l’agencement complexe des décorations kitsch et des guirlandes de papier métallisé, il ne voit qu’un sapin crevé couvert d’oripeaux ridicules. Il y met du sien, pourtant, il est même allé le lui chercher au magasin, son sapin. Il le lui a choisi sous la pluie torrentielle parmi une forêt de petits sacrifiés encore bien verts, saucissonnés comme des rôtis et entassés les uns contre les autres, comme pour se tenir chaud avant d’aller finir leurs jours étouffés sous les boules et les biscuits en pain d’épice.
Chaque année, c’est la même chose : il la regarde faire, sa bien aimée, et il s’en veut de la trouver stupide. Il lui en veut, aussi, d’avoir des étoiles dans les yeux au moment d’extirper du papier la grande étoile qu’elle attache à la cime, il voudrait qu’elle réserve le pétillant de son regard à des choses plus tangibles. À la musique de Chopin, par exemple, qu’elle n’a choisi que pour fignoler l’atmosphère, comme si c’était une vulgaire musique d’ascenseur.
Dans son délire « Ô joie, ô bonheur des choses simples », elle ne s’est même pas aperçu qu’il s’agissait d’une marche funèbre. Le voilà maintenant qui ricane bêtement. Son cynisme le mortifie.
Accroupie près des branches les plus basses, affairée à trouver le mouvement idéal d’une de ces guirlandes idiotes, elle fait comme si elle ne s’apercevait de rien. Elle a mobilisé toute l’énergie de ce week-end pour ce moment, pas question de se laisser distraire. À l’ordre du jour : décorer le sapin et chercher, cette année encore, où elle peut bien se cacher, la foutue magie supposée surgir d’un arbre à l’agonie croulant comme une vieille femme sous ses bijoux. Pour des millions de personnes, le rituel de l’arbre est un moment de joie, pas de raison qu’elle soit lésée. Pourquoi n’aurait-elle pas droit, elle aussi, à son comptant de bonheur facile? Elle veut sa part de joie, de toutes ses forces, mais rien n’y fait. Ça ne marche pas.
Elle a mis toutes les chances de son côté, pourtant, elle a même mis au four un pain d’épices. Pour que tout soit parfait, elle fait briller ses yeux comme si c’était de joie, elle fait comme si tout ça l’intéressait vraiment. Il n’y a que la musique, ça, avec la musique, elle ne peut pas tricher.
Elle sait qu’à quelques pas de l’arbre, niché dans un fauteuil, il la regarde et il la trouve stupide. Elle lui en veut de ne pas comprendre, de ne pas chercher à l’aider un peu. Sans lui, il manque peut-être un ingrédient déterminant à la sauce Magie de Noël qu’elle tente désespérément de faire prendre. Si ça se trouve, il suffirait qu’il choisisse avec elle de positionner la boule bleue ici plutôt que là pour que soudain, tout devienne clair.
On n’en sait rien après tout, c’est peut-être aussi simple que ça, qu’il suffit d’être deux à plomber un sapin pour que soudain cet arbre moribond se change en sapin de Noël…
La suite un autre jour (ou pas). Vous avez des idées? Ce serait marrant que vous m’aidiez à inventer la suite…
18 réflexions sur “Le parfum des épines”
Elles sentent merveilleusement bon tes épines… elles sentent la mélancolie cachée sous un saupoudrage de sucre glace.
J’archive pour réfléchir à une suite ;)
Bisou et Merci pour ce moment.
Anne
Ton billet me fait rire et sourire en pensant à celui que j’ai préparé pour demain sur ma joie de gamine de décorer le sapin de Noël. sourit
Ah les décorations de noël…
Que serions-nous, s’il nous fallait tuer l’enfant en notre coeur ? Le cynisme est la protection des grands sentimentaux, je crois, j’éspère… Parce que j’avoue qu’à deux effectivement ça apporte un peu plus de magie, dommage qu' »il » passe à côté…
(et alors à 3 ou à 4 avec les enfants, c’est carrément féerique, identification oblige)..
Ah ça me rappelle quelque chose. Mon mari deteste faire le sympa, il ne comprend pas du tout cet engouement pour cette fête qu’il trouve plus « galère » qu’autre chose. Moi je dis preservons l’enfant en chacun de nous, amusons nous, soyons emerveillés par tout ça le plus longtemps possible!!
Tu te rends compte que mon fils de 5 ans ne veut pas faire de sapin cette année parce qu’on ne fête pas Noël chez nous et qu’en revenant, il y aura des toiles d’araignées dedans !? :rit
Mon homme n’aime pas faire le sapin…
Si mes hommes me lâchent qui va me soutenir?
Même ma puce s’en fiche :bof
La suite… un scénario catastrophe où en voulant poser l’étoile à la cime du sapin, tout s’effondre.
[je suis vilaine :clin ]
Tu écris vraiment bien mais c’est tristounet…
complètement différent de mon rituel à moi (sauf,bien sur, le papa qui s’exile dans une autre pièce.
Mes enfants (3) sortent les décos de Noël, toujours les mêmes, rouge et Or, mais on rachète chaque année qq chose de plus, un petit bambi doré, une rose rouge givrée…
Pendant ce temps je prépare du cake et du chocolat chaud au miel et à la cannelle. On met les chants de Noël…on casse qq boules, on peste contre la guirlande lumineuse toute emmêlée,on repousse le chat et le chien qui veulent jouer avec les boules…
Ca fait image d’Épinal mais que c’est bon!!
Je les imagine bien faire le sapin à trois l’année suivante… peut-être cela pourrait-il réveiller ce couple un peu paumé… Mais l’histoire est cruellement belle.
En tous cas, moi j’adooore Noël et donc j’adooore tes photos !
Aaah… Pour moi, c’est demain le sapin et les déco. Je suis un peu en retard mais je m’appliquerais d’autant plus.
Aaah… Pour moi, c’est demain le sapin et les déco. Je suis un peu en retard mais je m’appliquerais d’autant plus.
tres joli texte et tres belles photos!
Une suite peut-être un peu simple mais qui pourrait être jolie: il l’aide effectivement à disposer quelques boules sur les branches, et il se prend au jeu…
Je suis sûre que tu réussiras à nous écrire ça très joliment!
Ton texte est très bien écrit, quand je le lis, je m’imagine il y a 2 semaines, à la meme place que cette fille. Ma chance c’est que chéri est aussi « gaga » que moi de la décoration de l’appartement pour Noel ^^
Mel
Ton écriture, Anne-So reste tout simplement magique….
Tu n’en a pas fini aves le sapin de Noel !!! un autre t’attend à St Martin et je compte bien sur toi et David !
Gros bisous et bonne journée !
Eh !!! Sous un sapin, il y a aussi les cadeaux … Hummmmmm ! On peut laisser aller son imagination !!!!!
tu m’auras reconnue ! J’avais oublié de mettre mon pseudo !
Tous les ans c’est moi qui fait le sapin depuis que maman est décédée.
Mais je crois bien que cette année, pour la première fois depuis 10 ans, il n’y aura pas de sapin. Ca ferait trop de travail à mes grands parents de s’en occuper.
Et finalement, je trouve ça bien triste, un Noël sans sapin…
Elle part à la recherche du petit garçon qu’il est aussi ? En chemin et dans le ciel, un certain goéland… :)
Magnifique blog, une essence de magie et de sublime. Je viens de t’ajouter à ma blog roll
Depuis mon enfance je passe la période de Noël à regarder autour de moi ce qui peut participer à la magie de Noël, mais très tôt les manies du sapin, du repas et de la messe ont été pour moi des inventions d’adultes pour cacher la vraie magie, si difficile à partager si tout le monde n’y met pas de vraie volonté. Bien sûr, j’aimais recevoir des cadeaux, manger les gâteaux préparés par maman, chanter à l’église, mais il y avait toujours des fausses notes qui me rendaient tous ces efforts incompréhensibles. Des tyrannies d’adultes qui essaient de contrôler le plaisir, les festivités, la vie familiale, la piété, que sais-je ? De contrôler, de s’amuser, de jouir à tout prix au bon moment. Et la famille, nid des discordes, plus on est de fous, plus on s’en fout. Ma famille n’est pas infernale, pourtant. C’est juste que personne n’a la foi. Ils suivent juste les rites d’une foi qu’ils n’ont pas. Et je ne parle même pas de religion. Il est question de plaisir, pas de joie.
Si on prend le sapin, ça sent bon (j’adore les bruits étouffés et magiques d’une sapineraie), c’est beau quand c’est vivant, les bougies c’est beau, ça brille à travers les larmes, comme les guirlandes qui clignotent. Les décorations de Noël qu’on retrouve chaque année sont rassurantes, les disputes pour savoir où, qui, comment on les met, on les oublie vite. Mais ces sapins qu’on voit mourir sur les trottoirs dès le lendemain de Noël et jusqu’en juillet (mon record observé) me brisent le coeur bien trop longtemps pour un plaisir si fugitif, alors j’ai fait le choix il y a longtemps. Et mes parents ont enfin suivi. Il se peut qu’un jour je retourne chez eux partager de vrais bonheurs de Noël, partager et échanger, penser un peu plus aux autres que d’habitude.
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